Hier, Jack Parker m'a aidé à surmonter ma peur.
Je vis dans la région parisienne depuis ma naissance. J'ai pris le métro des milliers de fois, si ce n'est des millions. Je m'y suis fait harceler régulièrement. Les trucs habituels, le mec qui te siffle comme si tu étais un clébard, celui qui exhibe son érection à travers son pantalon, celui qui te dit de "sourire, enfin, c'est pas si grave !" alors que tu pleures toutes les larmes de ton corps parce que tu as appris qu'un de tes potes s'est foutu sous un train, celui qui te dit que tu es "charmante mademoiselle" en fixant tes seins, celui qui te crie "t'es moche !" avec sa meute de connards associés morts de rire derrière, celui qui t'attrape les cheveux pour voir "quelle couleur c'est"...
Bref, les classiques.
La plupart du temps, je ne dis rien. Par PEUR. Et par peur, je ne veux pas dire "petite trouille avant de sauter du grand plongeoir", je veux dire "terreur viscérale qui te paralyse, te fait trembler de tout ton corps, te donne la gerbe et des sueurs froides". Sans rentrer dans les détails, j'ai un certain passif avec les violences physiques.
J'écoute de la musique dans mon casque très fort pour ne pas les entendre, je mets des lunettes de soleil pour qu'ils ne puissent pas essayer de chopper mon regard... Quand je suis dehors, je passe en mode "trajet". Je ne suis pas vraiment "là", je me dissocie de ce qui m'entoure. Je vais d'un point A à un point B et les humains sont de simples obstacles à éviter au même titre qu'un banc, un poteau ou une flaque de boue. Pas de balades pour le fun, impossible de flâner avant d'arriver au taffe, même si j'ai un peu d'avance : juste les poings serrés, le dos droit et la démarche d'un terminator sous stéroïdes. Je porte des rangers, des vestes à clous et je cultive avec soin une tronche de serial killer qui ferait tourner le lait des vaches.
Pour résumé, je fais le gros dos pour faire peur aux prédateurs.
Ça marche un peu, mais c'est comme te dessiner un tatouage au feutre : ça peut faire illusion quelques temps mais rapidement, tu vois que ça coule un peu partout et ça tâche tes fringues. Y'a toujours le mec qui supporte pas que tu l'ignores et qui se met à te suivre, celui qui t'attrape le bras pour te forcer à rester lui parler... Et celui d'hier, celui qui profite que tu sois coincée par la foule des heures de pointe dans le même wagon que lui.
J'ai pas mon casque pour une fois, j'ai enlevé mes lunettes de soleil parce que sous terre il fait un peu trop sombre pour ça quand même. Et comme toujours, ça commence "innocemment". Il me pose une simple question. Ouverte, la question, pour que je ne puisse pas répondre juste par "oui" ou par "non".
"Ça veut dire quoi ton badge "I love cats" ?"
Le badge est fixé au niveau de ma poitrine. Il a le sourire en coin, la babine luisante. Et probablement l'âge d'être mon père. C'est dingue dans ces moments là ce qu'on pense vite. C'est comme un arbre de possibilités qui se déroule d'un coup et faut choisir.
• Lui répondre "j'aime les chats" : ouverture pour une blague sur le thème de "moi j'aime les chattes".
• Lui sourire avec un air gêné sans rien dire : vu qu'il a insisté quand je l'ai ignoré quand il m'a appelé la première fois, il ne va pas lâcher prise si facilement.
• Partir : impossible, wagon bondé, suis bloquée ici. Bordel de chier.
Et là j'ai repensé à Jack Parker. Pour ceux qui n'ont pas lu son article sur son agression et sur la réaction dégueulasse de certaines personnes sur les réseaux sociaux, cliquez ici et ici (trigger warning : agression sexuelle, victim blaming, harcèlement, slut shaming, etc...). Et j'ai réalisé que non, j'avais pas envie de lui parler à ce type et que je n'étais pas obligée.
"... j'ai pas envie qu'on me parle...
- Hein ?
- J'ai pas envie qu'on me parle !"
Des voyageurs ont commencé à se tourner vers nous et j'ai senti mon visage prendre une jolie couleur tomate. Il a eu l'air un peu désarçonné, visiblement c'était pas prévu dans son script. Il m'a laissé tranquille, quoi, trente secondes, avant de repartir à l'assaut.
"Parce que ça te va très bien."
Et là t'as tous tes instincts de fille polie qui te hurlent de dire merci et de sourire, parce que c'est ça qu'on fait quand on reçoit un compliment et qu'on est bien élevée.
Sauf que :
1) Je lui ai clairement exprimé que je ne voulais pas qu'on me parle. Lui répondre, ça reviendrait à lui dire "non mais quand je disais "non", ça voulait dire "insiste", en fait". La discussion était close, je ne voulais pas la rouvrir.
2) Son avis sur le fait que mon badge (qu'il ne comprenait soi-disant pas) m'aille ou pas, je m'en tamponne un peu le coquillard et j'avais pas vraiment envie de lui donner l'impression que c'est tout à fait okay pour un parfait étranger de faire des commentaires sur mon apparence.
Donc j'ai muselé mes instincts de fille bien élevée et je l'ai ignoré.
Ça lui a pas plu. Il a commencé à râle à mon sujet auprès d'une autre passagère, parce que je "l'insultais". J'avais vraiment l'impression que tous les autres gens dans la trame me prenaient une grosse conne fouteuse de merde, donc j'ai été assez surprise de l'entendre répondre :
"Ben non, elle est pas obligée, elle est libre."
Merci madame, je sais pas qui vous êtes mais vous avez gagné des points de karma. Merci aussi à Jack Parker qui m'a inspiré le courage d'oser ouvrir ma gueule au lieu d'attendre que ça passe.
Bref voilà, ça a pas l'air d'un gros truc, dis comme ça, mais vu ma peur panique dans ce genre de situations, ça me fait du bien de ne pas avoir été obligée de subir une interaction que je ne voulais pas avoir.
Meow meow, mothafucka:
Cats against Catcalls!